Martin pêcheur – Alcedo atthis

Texte : Pascale Hervieu – Photographies : Antony Garcia, Patrice Guitton, Dominique Martin, Bernard Deman, Michel Andrieux, Jean-Pierre Mériaux, Michel Cantet

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Crédit photo : Dominique Martin

La famille « Martin » compte pas moins de 118 espèces différentes (Parmi lesquelles Dominique ne figure pas !). Ils ont en commun une silhouette trapue, des pattes courtes et un long bec pointu comme un poignard.
Tous les continents accueillent des individus de la famille Martin sauf l’Antarctique !
Ainsi, le martin-pêcheur pourpré vit dans les forêts tropicales d’Asie et malgré le fait qu’il soit reconnu comme « pêcheur », il se nourrit principalement d’insectes ; le martin-pêcheur huppé  vit au bord des rivières et des étangs d’Afrique subsaharienne ; L’aire du martin-pêcheur d’Amérique s’étend du Canada au Venezuela où il se nourrit aussi bien de poissons d’eau douce que d’eau salée.
Le martin-pêcheur d’Europe (Alcedo atthis) dispose d’un immense territoire, bien au-delà du continent dont il porte le nom puisqu’on le trouve aussi bien au Maghreb qu’en Sibérie, en Chine, en Inde et en Indonésie !
On pense qu’à l’origine les Martins se nourrissaient de proies au sol. Certains se sont spécialisés dans la chasse. Il peuvent donc vivre très loin des milieux aquatiques tandis que les pêcheurs de la famille leur sont inféodés. Parmi les chasseurs, citons le rarissime martin-chasseur des Gambier qui vit sur un atoll du pacifique de 8 km de diamètre et n’élève qu’un seul petit par an et le surprenant Kookaburra ou martin-pêcheur géant (le plus grand de la famille qui pèse 500 g et mesure 45 cm de long) que l’on trouve à Sydney.

Faisons plus ample connaissance avec Alcedo Atthis !

Ce magnifique oiseau n’a pas totalement usurpé le surnom de « flèche bleue » que nous lui donnons puisque que bien souvent, nous le détectons au seul cri « Tiiiiiiit » qui accompagne cette illusion bleue filant au raz de l’eau qu’il nous laisse lors de son passage. Il faut dire qu’il va vite le bougre : 45 km/h en ligne droite au raz de l’eau avec souvent des virages à 90 degrés pris sur les chapeaux de roues ! … Nous n’y avons vu que du feu… ou plutôt, que du bleu !
Et pourtant, du bleu il n’en a point dans son plumage ! En effet, il n’existe pas de pigment bleu dans le monde animal et notre Martin n’en n’est pas mieux doté que les autres ! Alors me direz-vous, d’où vient ce bleu qui nous éblouit ? Il s’agit d’un phénomène optique dû à la décomposition de la lumière : « De minuscules bulles d’air encapsulées dans les barbes et les barbules de la plume diffusent et renvoient les longueurs d’onde bleues…./… Cet artifice lumineux s’appelle l’effet Tyndall, du nom du physicien irlandais qui expliqua pour la première fois ce phénomène. »*

Crédit photo : Dominique Martin

Crédit photo : Jean-Pierre Mériaux

Crédit photo : Jean-Pierre Mériaux

Crédit photo : Michel Cantet

Martin n’est pas un grand chanteur, c’est le moins que l’on puisse dire. A son répertoire un puissant cri aigu « Tiiiiii »  unique ou répété, lui sert à annoncer sa venue et à faire déguerpir tout intrus de son territoire qui couvre 2 à 3 km de rivière. Il faut dire que Martin n’a pas bon caractère et qu’il ne tolère personne chez lui, pas même une femelle en dehors du temps de la reproduction, mais nous y reviendrons !
En revanche, son plumage (et tous les indicateurs visuels qu’il peut renvoyer) est son plus bel atout. Il lui faut l’entretenir car il témoigne de sa vitalité et de sa santé pour ses adversaires et les femelles en recherche de partenaire.

Ce sont donc au minimum 6 séances de toilettage par jour d’une vingtaine de minutes chacune qu’il lui faut consacrer à son plumage pour en  garantir non seulement la bonne santé mais également l’étanchéité, faute de quoi, c’est la noyade assurée.
Ceci fait, Martin sillonne son territoire et se poste sur l’un de ses nombreux perchoirs d’où il observe ce qu’il se passe dans l’eau. Si l’observation n’est pas concluante, au bout d’un moment, il change de perchoir. Il dispose d’une très bonne vue, 25 mètres environ, et dès qu’il a repéré une proie, alors en un éclair de temps (2 secondes) il plonge et ressort de l’eau avec sa proie. Ce faisant, il a fermé une paupière spéciale (fovéa) pour protéger ses yeux. Tout ce qui se passe sous l’eau se fait donc à l’aveuglette ! Au préalable, Martin a dû calculer sa trajectoire  tout en tenant compte du phénomène de réfraction dû à la lumière qui a pour effet de ne pas montrer, de l’extérieur, le poisson à l’endroit exact où il se trouve. Autant dire qu’il faut bien calculer et aller vite pour bénéficier de l’effet de surprise. La réussite est d’autant plus assurée que la profondeur de l’eau n’excède pas 30 cm. Martin pêche quelquefois dans des eaux moins profondes mais dans ce cas, il arrive qu’il se casse une mandibule sur le fond. Celle-ci repoussera !
Si le temps est calme et que l’eau prend l’aspect d’un miroir, on estime que le taux de réussite, entre 25 et 30 cm de profondeur, est pratiquement de 100 %. Il lui arrive aussi de pêcher jusqu’à 1 mètre de profondeur.

Nous l’avons dit plus haut, Martin n’a pas bon caractère ! Son territoire est à usage exclusif et il est prêt à en découdre si un rival vient s’incruster chez lui.
– Soit celui-ci comprend le message à la première sommation « Tiiiiiiiiiiiiit ! » et se laisse raccompagner vers la sortie dans une course effrénée… ouf ! Plus de peur que de mal !
– Soit l’intrus compte s’incruster et vient parader sur un perchoir du propriétaire des lieux ce qui oblige ce dernier à mettre les points sur les « i ». Dans ce cas, les adversaires se font face dans des postures d’intimidation (bec ouvert) qui peuvent aller jusqu’à « se voler dans les plumes », avec quelques rares meurtres par noyade d’un des 2 combattants. Pas de copinage, même entre cousins !

Crédit photo : Patrice Guitton

Le problème, c’est que Martin n’est vraiment pas sociable et qu’a priori, il ne procède pas autrement avec une femelle qui se présente chez lui.  On l’a vu, son répertoire sonore n’est pas varié, et quel que soit le visiteur, il l’accueille de ton « Tiiiiiii » peu rassurant et ne peut s’empêcher de le pourchasser.
Ainsi, la femelle devra t-elle déployer des trésors de patience pour finir par se faire accepter. Cela lui prendra plusieurs jours avant que ce ballot de Martin reconnaisse enfin son épouse (car Martin est plutôt fidèle si sa partenaire de l’année précédente est toujours en vie, ce qui n’est pas souvent le cas).
Dès lors, les choses changent et c’est Martine qui va le mener « par le bout du bec » car elle n’est pas un « oiseau facile », elle entend bien que monsieur la courtise et l’apprivoise, or c’est plus fort que lui, il ne connaît que les postures d’intimidation… alors elle se méfie !
Après une période de parade intensive qui peut durer plusieurs jours, un pacte de paix est conclu lorsque la femelle accepte l’offrande d’un poisson. Alors Martin décide de montrer à sa belle un bon coin de pêche sur son territoire.  Puis, après plusieurs propositions faites par le mâle, ils finissent par se mettre d’accord sur le lieu où ils implanteront leur terrier. Martine n’accepte pas toujours de se réinstaller dans un terrier existant.

Crédit photo : Michel Cantet

Crédit photo : Michel Cantet

Dans ce cas, il faut d’abord trouver l’endroit idéal puis il faut creuser !  Un bon terrier doit se trouver dans une falaise de sable verticale suffisamment solide pour résister aux intempéries mais pas trop dure à creuser, à l’aplomb d’un cours d’eau, suffisamment haut pour ne pas risquer l’inondation et suffisamment bas en dessous du sol (50 cm environ) pour ne pas risquer les intrusions par le dessus. De plus, le tunnel (entre 80 cm à 1,50 m de long, 5 à 7 cm de diamètre) doit être rectiligne et incliné vers le cours d’eau. Le fond du terrier lui se termine par une petite chambre de 16 cm de large et de 11 cm de haut, dont le fond doit être plus bas que le tunnel afin que les œufs ne roulent pas vers l’extérieur.
Une telle entreprise peut prendre de 1 à 2 semaines de travail acharné et épuisant durant lesquelles les oiseaux creusent avec le bec et déblaient la terre vers l’extérieur avec les pattes et la queue. Tant que la chambre n’est pas creusée, il est impossible de faire demi-tour et la sortie du terrier se fait à reculons.
Très vite la femelle ne participe plus aux travaux de terrassement. En effet, elle doit garder son énergie pour l’entreprise de reproduction qui s’annonce : Chaque jour pendant 7 jours, elle va pondre un œuf  tout blanc (repérable dans le noir) et presque rond qui pèse 10 % de son poids. Elle commence seulement à les couver lorsqu’elle a pondu les 7 œufs afin que tous les oisillons naissent en même temps.
Les partenaires couvent à tour de rôle pendant environ 3 semaines, sauf les nuits qui sont exclusivement assurées par la femelle. Les oisillons sont nidicoles, c’est-à-dire qu’ils naissent nus et aveugles. Leurs parents les nourrissent de minuscules poissons qu’ils distribuent avec une équité totale grâce à une technique bien rodée : les oisillons forment une ronde becs tournés vers l’extérieur, croupions vers l’intérieur de la ronde. L’oisillon qui se trouve dans l’axe du tunnel reçoit sa ration, puis se tourne de manière à expulser un jet de fiente dans le tunnel et reprend sa position initiale. Alors, la ronde tourne vers la droite (ou la gauche) de manière à ce que l’oisillon suivant soit en position d’être nourri à son tour…. Et ainsi de suite !
Avec le temps, le tunnel se couvre de fientes qui coulent peu à peu vers l’extérieur (d’où la nécessité que le tunnel soit incliné vers la rivière). A dix jours, les petits avalent des poissons de 3 cm de long. Ils mangent l’équivalent de leur poids chaque jour. Rapidement, la femelle disparait (mère indigne !) et seul le mâle s’occupe du nourrissage des petits (soit au total environ 56 proies par jour plus celles qui lui sont nécessaires pour se nourrir lui-même) qui quittent le nid vers l’âge de 4 semaines. Le mâle continue de nourrir les jeunes quelques temps, jusqu’au jour où, estimant qu’ils peuvent se débrouiller seuls, il les chasse rudement de son territoire (Tout ça pour ça 🙁 !).

Jeune reconnaissable à ses pattes brunes et au point blanc situé au bout du bec. Crédit photo : Antony Garcia

Juvénile –  Crédit photo : Michel Cantet

Alors me direz-vous, pourquoi ce mâle met-il tant d’empressement à chasser ses jeunes de son territoire ? Pour une raison on ne peut plus valable… sa femelle qui a disparu depuis plusieurs jours a commencé une nouvelle nichée dans un autre terrier qu’elle a nettoyé au préalable. Martin va donc devoir recommencer tout le cycle pour cette nouvelle nichée… puis pour une troisième ensuite, voire quelquefois quand les circonstances le nécessitent une quatrième nichée ! (par exemple si l’une d’elles est perdue à cause d’une crue subite ou d’un humain installé trop longtemps à proximité de la caverne empêchant les parents très méfiants, de donner les soins nécessaires aux petits).
On ne chôme pas entre mars et juillet dans la famille Martin !
On peut se demander si cela est bien raisonnable d’encombrer la rivière avec une descendance de 21, voire 28 petits Martins en une saison (quand le mâle est monogame, car il arrive qu’il ne le soit pas !) surtout pour les chasser ensuite ?!
Et bien oui ! Car les statistiques montrent qu’environ 50 % des petits périssent dans les 15 premiers jours suivant la sortie du nid, entre autres, parce qu’il n’ont pas pris soin de leur plumage ! On l’a déjà dit, un plumage mal entretenu peut provoquer la noyade… Il s’agit là d’un défaut de jeunesse récurent ! (les plumes mal lissées se gorgent d’eau ce qui empêche l’oiseau de ressortir suffisamment vite de l’eau).
A la mi-septembre, Martin redevient l’oiseau irascible qui ne supporte plus personne sur son territoire. Alors houst ! Tout le monde dégage, y compris la femelle qui disparait on ne sait où ?
Bien souvent elle n’a d’autre choix que de migrer tandis que Martin lui, fait régulièrement le choix contraire afin de garantir son installation sur son morceau de rivière. Cela peut s’avérer judicieux quand l’hiver est clément car au printemps suivant, le gîte et le couvert sont assurés.
A l’inverse, il peut être désastreux quand l’hiver est rigoureux car la rivière gelée est synonyme de disette et dans ce cas, il est déjà arrivé que 9 Martins sur 10 y aient laissé leur peau ! Dans ce cas, ceux qui ont fait le choix de migrer trouvent alors facilement à se loger à leur retour !
En ayant connaissance de tous ces aléas, on comprend mieux cette frénésie à se reproduire coûte que coûte !

Bonus : Martin pêcheur à ventre roux – Megaceryle torquata

Références et documentation :
 « Ceci n’est pas une pipe » René Magritte
La Hulotte (Revue la plus lue dans les terriers) N° 99 et 100
La Salamandre : Revue N° 123

https://www.oiseaux.net/oiseaux/martin-pecheur.a.ventre.roux.html

https://www.oiseaux.net/oiseaux/alcedinides.html

https://www.oiseaux.net/oiseaux/martin-pecheur.d.europe.html

A lire aussi : Nat’Images N° 56