Castor d’Europe

Texte : Pascale Hervieu ; Photos : Olivier Gutfreund, Philippe Ricordel, Yvon-Henry Houziez

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Savez-vous qu’il n’existe sur terre que 3 sortes de bûcherons ?
– L’homme et toute sa technologie,
– L’énorme éléphant et sa force miraculeuse,
– Et le petit castor et ses dents tranchantes comme des ciseaux.
Mais en y regardant de plus près, notre ami le castor ne se contente pas d’être bûcheron, il est aussi un bâtisseur hors pair, tour à tour charpentier, maçon et chauffagiste !
Tout d’abord, présentons le personnage.
Il existe 2 lignées de Castors : La lignée européenne que l’on trouve dans toute l’Europe jusqu’en Mongolie (à laquelle appartient Castor fiber) et la lignée canadienne (Castor canadensis) qui occupe seulement le continent nord-américain, à l’exception de deux colonies qui se trouvent l’une en Finlande et l’autre au Chili.
Très semblables en apparence, les deux espèces n’ont toutefois pas le même nombre de chromosomes, ce qui empêche tout croisement entre elles. On notera que la cohabitation des 2 espèces en Finlande a conduit à la disparition de Castor fiber dans ce pays.

Ces photos ayant été faites en Alaska, il s’agit de Castor canadensis.
© Philippe Ricordel

Mais revenons à notre Castor d’Europe !
Castor fiber est le deuxième plus gros rongeur au monde après le Capybara (Amérique du sud). Il peut peser jusqu’à 30 kg et mesurer jusqu’à 1 mètre, auquel il faut ajouter la queue dont les dimensions varient entre 20 à 30 cm de long et 10 à 15 cm de large.
Les différents atours dont il est doté sont nombreux et font de lui un animal amphibien par excellence.
– D’abord, une épaisse fourrure constituée de 2 sortes de poils : une bourre épaisse, chaude et imperméable et des jarres (poils longs) qui permettent à l’eau de s’écouler *
– Des yeux protégés par une membrane transparente qui lui permet de voir sous l’eau **
– Des narines et des oreilles fermées par des muscles lors des plongées ce qui empêchent l’eau d’y pénétrer.
– La faculté de rester 15 minutes sous l’eau sans remonter respirer à la surface ***
– Un toucher très développé, grâce entre autres, à des vibrisses entourant le nez et qui lui permettent de s’orienter dans des eaux troubles.
– Un odorat très performant qui joue un grand rôle dans la communication.
– Deux pattes postérieures palmées qui lui servent de rames. Avec une particularité : le 2ème orteil possède une double griffe qui sert de peigne pour entretenir le pelage.
– Une queue plate, aussi appelée « palette », recouverte de corne (comme la kératine de l’ongle) qui, elle, sert de gouvernail et de réserve de graisse, mais qui remplit aussi d’autres fonctions que nous découvrirons au fil du documentaire.
– Enfin, lorsqu’il transporte des branches dans l’eau, la peau de ses joues entoure le bois rendant l’entrée de l’eau dans la bouche impossible.

* Cette fourrure, débarrassée des jarres, était autrefois utilisée pour faire des chapeaux de feutre.
** Le castor n’a pas une bonne vue.
*** Plus généralement, les temps d’immersion sont de 2 à 3 minutes.

Castor fiber © Olivier Gutfreund

Outre ces qualités remarquables, le Castor est également bien outillé pour la mission qui est la sienne : Construire des barrages et participer, malgré lui, à la biodiversité d’un lieu !
Contrairement à ses pattes postérieures, ses pattes antérieures sont courtes et se terminent par « des mains » non palmées, à cinq doigts munis de griffes, d’une grande dextérité, avec lesquelles il peut saisir des brindilles, faire tourner des baguettes de bois tandis qu’il en ronge l’écorce, saisir des minéraux au sol, chiffonner des feuilles d’arbre, mais également, effectuer des travaux de force, tels que transporter de la boue et creuser des terriers.
Mais ce qui est remarquable par-dessus tout, ce sont ses incisives ! Au nombre de 4 * celles-ci sont si solides qu’elles ont, autrefois, servi d’outils aux hommes préhistoriques.
Oranges, elles poussent tout au long de la vie du Castor qui les use dans ses travaux de bûcheronnage. Elles sont profondément enfoncées dans les mâchoires et s’aiguisent comme des ciseaux par frottement des incisives supérieures contre les incisives inférieures. Ajoutez à cela, que les muscles de la mâchoire du Castor développent une force de 80 kg (40 seulement chez l’homme), vous comprendrez mieux pourquoi notre ami est une véritable force de la nature capable d’abattre un arbre jusqu’à un mètre de diamètre.

* Le castor a 20 dents au total, dont 4 incisives

Incisives orange du Castor fiber © Olivier Gutfreund

Mais pour quoi faire me direz-vous ? Tout simplement pour sa survie puisque le bois va lui permettre de se nourrir mais également de se construire un gîte !
Le Castor bûcheron s’active donc pour se procurer les matériaux qui lui permettront de fabriquer la charpente de ses édifices mais également de constituer des réserves de bois pour se nourrir (en particulier l’hiver) qu’il stocke au fond de l’eau, à proximité de son gîte.
Abattre un arbre entier donne beaucoup de nourriture et de matière première pour la construction et rien ne se perd ! Ainsi, les feuilles peuvent-elles être consommées directement mais également être utilisées comme matériau de colmatage pour les ouvrages. Les branches elles, sont débitées en fourches utilisées comme fondations d’un barrage, en tiges qui servent à grossir l’édifice et en réserve alimentaire. Le tronc lui est coupé en rondins courts pour la fabrication de la litière en bois.
Cependant plus l’arbre est gros, plus le Castor doit fournir d’efforts pour arriver à ses fins. Debout sur ses pattes postérieures, en prenant appui sur sa queue, il tourne autour de l’arbre. D’abord, il mange l’écorce puis il cisaille le tronc au point que celui-ci prend la forme d’un sablier. Ce travail nocturne est très bruyant ce qui oblige notre ami à faire des pauses régulières pour s’assurer qu’aucun danger ne le guette. Il n’est pas rare qu’il interrompe les travaux de bûcheronnage avant la fin et que finalement, ce soit le vent qui termine le travail en abattant définitivement l’arbre.

Les 4 photos de gauche © Olivier Gutfreund ; Les 2 photos de droite © Yvon Houzier

Ce coût en temps et en énergie explique pourquoi le Castor privilégie d’abord les arbustes au tronc moins gros qu’il trouve le long de son territoire. 5 minutes seulement lui sont nécessaires pour sectionner un tronc de 8 à 10 cm de diamètre.
Son territoire s’étend sur les deux berges d’un cours d’eau, entre 0,5 à 7 kilomètres de longueur en fonction de la ressource alimentaire disponible.
Très habile dans l’eau, ses déplacements sont plus difficiles sur terre, c’est pourquoi autant que possible, le Castor ne s’éloigne jamais de plus de 30 mètres de l’eau. En effet, s’il n’a pas de prédateur dans l’eau (sauf la loutre, le vison mais aussi le brochet lorsqu’il est jeune), sur terre, il redoute principalement le loup, le lynx, et l’ours.
Pour qu’il soit en totale sécurité dans son logis, il a besoin d’au moins 60 centimètres de profondeur d’eau, c’est pourquoi, lorsque cette condition n’est pas remplie, il construit un barrage pour faire monter le niveau de l’eau. Ceci faisant, il augmente également la superficie de son territoire en repoussant la limite des 30 mètres du rivage grâce à la retenue d’eau, ce qui lui donne accès à des arbres jusque-là inaccessibles.
On notera par la même occasion, qu’il contribue ainsi à la biodiversité des milieux humides en favorisant l’apparition d’espèces absentes de son territoire à l’origine.

Castor fiber © Olivier Gutfreund

Notre ami étant nocturne, les grands travaux ont lieu pendant la nuit.
Pour fabriquer un barrage (si le niveau de l’eau est insuffisant) ou une hutte pour se loger (quand le niveau est suffisant) accessible uniquement par une galerie dont l’entrée se trouve sous l’eau, le Castor entreprend de sectionner avec méthode des fourches d’arbres.
Ces fourches tirées jusqu’à l’eau sont dirigées face au courant qui par pression les fixe au fond du cours d’eau. Elles constituent des fondations solides à l’ouvrage. Ne reste plus ensuite qu’à apporter des tiges de bois (énormément de tiges de bois !) qui se coincent dans les fourches provoquant un amas de bois de plus en plus serré jusqu’à obstruer l’écoulement de l’eau.

A droite : Hutte dont l’entrée se fait probablement par un terrier dans la berge, accessible sous l’eau *
© Olivier Gutfreund

* Il arrive que la construction de l’habitat soit faite d’un mix entre le terrier et la hutte. De même que lorsqu’un terrier s’effondre, le castor le répare avec une structure en bois.

A ce stade, il reste à rendre l’ouvrage étanche. Pour cela, notre ami entreprend de boucher tous les trous de la digue avec divers matériaux : feuilles, herbe, vase, brindilles, boue. Il transporte ces matériaux grâce à ses deux membres antérieurs, les mains et le menton lui servant de ridelles pour maintenir les matériaux. Dans ce cas, il se déplace en marchant sur les 2 pattes postérieures.
La solidité des ouvrages est telle qu’ils sont presque indestructibles (même à coup de dynamite) mais si d’aventure une avarie se produit, le Castor entreprend immédiatement les réparations nécessaires pour consolider l’ouvrage.
Le plus grand barrage connu, construit par des castors, se trouve au Canada et mesure 850 mètres de long.
Depuis le début de ce document, j’ai parlé du « Castor ». Mais il serait plus juste de parler de la famille Castor !
En effet, le Castor ne construit pas seul ses édifices. Il le fait d’abord avec une compagne puis à partir de la deuxième année suivant sa mise en couple, en famille.
Au début de leur histoire, lorsqu’ils ont 2 ans environ, les jeunes castors sont chassés par leurs parents. Ils errent chacun de leur côté à travers plusieurs territoires en prenant bien garde de ne jamais rencontrer les propriétaires des lieux qui ne supportent aucune visite chez eux. Une attaque de Castor peut s’avérer mortelle car celui-ci a la fâcheuse habitude de mordre les intrus au niveau de la colonne vertébrale avec l’efficacité qu’on lui connaît sur les troncs d’arbres !
Puis le hasard met en présence un mâle et une femelle qui finissent par trouver un morceau de cours d’eau libre. Ils marquent alors ce territoire sur lequel ils s’installent en couple * pour la vie et entreprennent leur première construction.
Selon l’aspect du cours d’eau, ils creusent un terrier dans une berge, construisent un barrage dans lequel ils installent des chambres ou fabriquent de simples huttes. Plusieurs chambres sont construites à différentes hauteurs au dessus de l’eau afin de parer aux variations des niveaux d’eau.
Dans tous les cas, l’entrée du gîte se fait toujours par une galerie en pente montante, uniquement accessible sous l’eau. Le Gîte situé au-dessus du niveau de l’eau est constitué d’une plateforme qui permet à l’animal de laisser s’égoutter l’eau avant d’entrer dans la chambre qui, elle, est tapissée de copeaux de bois parfaitement secs. Le plafond de la chambre est toujours percé d’une cheminée vers l’extérieur pour l’aération des lieux.
Une réserve alimentaire pour l’hiver constituée de branches est stockée en général au fond de l’eau à proximité de l’entrée du gîte.

* Tant que les deux partenaires sont en vie ils restent ensemble. Quand l’un d’eux disparait il est remplacé. Les castors vivent entre 10 et 15 ans. Jusqu’à 20 ans en captivité.

Réfectoire © Olivier Gutfreund

Le Castor est exclusivement végétarien et son alimentation varie selon les saisons ; Il consomme une grande diversité de plantes ligneuses et herbacées quand elles sont disponibles mais lorsque la végétation est au repos, il consomme des bourgeons et de l’écorce d’arbres.

 © Olivier Gutfreund

Pour digérer cette nourriture hautement chargée en cellulose, le Castor est pourvu d’une poche au bout de son tube digestif nommée « caecum » dans laquelle des millions de bactéries digèrent la cellulose pour la transformer en bouillie. Cette bouillie très protéinée s’appelle « caecotrophe ». Pour sa sortie de l’intestin, notre ami ramène sa queue devant lui pour réceptionner le caecotrophe qu’il ravale immédiatement.
Entre janvier et mars, le moment vient pour le couple de s’accoupler *. Il le fait sous l’eau (quelquefois sous la glace) ventre contre ventre.
La gestation dure entre 105 et 107 jours. Les naissances ont donc lieu entre mai et juin.
Quand la naissance est imminente, des travaux d’aménagement de la chambre sont entrepris : agrandissement de l’espace (M. et Mme Castor rongent les murs de bois par l’intérieur), installation d’une litière fraiche constituée de paille de bois.
Puis, madame Castor se met en position pour mettre bas : elle ramène sa queue devant elle qui sert de matelas pour accueillir les petits lors de la naissance qui se passe en famille**.
La portée compte de 1 à 4 jeunes *** qui pèsent entre 500 et 700 grammes. Ils sont le portrait craché de leurs parents, à l’exception de leur queue qui n’est pas encore tout à fait bien proportionnée.
Dès leur naissance, les jeunes sont plutôt turbulents et ne doivent jamais rester sans surveillance car leur pelage n’est pas encore étanche, ce qui les expose à un refroidissement fatal s’ils tombent accidentellement dans la galerie d’eau au pied de la chambre. Il faut alors impérativement les repêcher au plus vite.
De plus, à ce stade, il faut aussi défendre l’entrée de la chambre des visites de la loutre ou du vison.
La femelle les allaite pendant 2 mois. Les petits castors sont très bruyants et ne se calment que lorsque leur mère leur donne la tétée, 10 minutes à chaque fois, 8 à 9 fois par jour. Son lait est très riche en matière grasse ce qui leur permet de grandir très vite. Au bout de 3 semaines, ils commencent à manger des aliments solides.
Au bout de 4 semaines, ils font leurs premières sorties nocturnes sous la haute surveillance de leurs parents (et aînés quand il y en a) qui guettent la loutre ou le brochet lesquels constituent un grand danger pour eux.
Très joueurs, les petits s’amusent à faire claquer leur queue sur l’eau, ce qui est perturbant pour le reste de la famille car il s’agit là d’un système d’alerte utilisé en cas de danger.

* La femelle est féconde à partir de  trois ans tandis que le mâle peut se reproduire à partir d’un an ½.
** A partir de la 2ème année d’installation du couple, les jeunes de l’année précédente, toujours présents, assistent à la naissance et participent à tous les travaux d’entretien et de surveillance.
*** Plutôt 2 jeunes chez le Castor d’Europe et 4 jeunes chez le Castor canadien.

 © Olivier Gutfreund

Durant la première année de leur vie, les petits castors sont chouchoutés par leurs parents.
En automne, ils commencent leur apprentissage pour contribuer au colmatage de la hutte, au transport des matériaux avec plus ou moins de succès au début.
A l’entrée de l’hiver, toute la famille participe aux travaux nécessaires pour épaissir les murs de l’habitation afin de l’isoler des grands froids et renforcer son étanchéité (mais toujours avec la cheminée d’aération vers l’extérieur). Lorsque les températures extérieures sont négatives, tous les membres de la famille se pelotonnent les uns contre les autres à l’intérieur de la chambre pour se tenir chaud *
Pour autant, les castors n’hivernent pas. Ils restent actifs toute l’année.
En été, les castors ne supportent pas une température supérieure à 20 degrés. Seule solution pour eux dans ce cas là, se réfugier dans l’eau.
A 1 an, les jeunes assistent à la naissance de leurs frères et sœurs et prennent part à leur surveillance.
Leur apprentissage dure 21 mois environ. Durant ce laps de temps, ils intègrent peu à peu tout ce qu’ils doivent savoir pour pouvoir mener à leur tour une vie autonome quand à 2 ans ils sont chassés du territoire sur lequel ils sont nés, par leurs parents.

* Une étude a montré que par -36° en extérieur, la température était de + 2° à l’intérieur d’une chambre de Castors.

Empreinte © Olivier Gutfreund

Empreinte © Yvon-Henry Houzier

Olivier Gutfreund à l’affût

Texte : Pascale Hervieu
Photos par ordre d’apparition sur mon disque dur : Olivier Gutfreund, Philippe Ricordel, Yvon Houzier.

Un grand merci à vous trois pour votre contribution.

Références bibliographiques :
– La Hulotte (Revue la plus lue dans les terriers) N° 85 et 87
– Mammifère d’Europe – Robert Hainard.

Références sitographiques :

https://www.youtube.com/watch?v=fIJfBczXTrw
https://www.youtube.com/watch?v=rgslI6XUlUw
http://www.cscf.ch/cscf/home/biberfachstelle/informationen-zum-biber/biber-weltweit.html
http://www.cscf.ch/cscf/home/biberfachstelle/biberspuren-erkennen.html
https://www.france.tv/france-2/journal-20h00/2170265-edition-du-mercredi-6-janvier-2021.html
(à partir de 35 mn 43)
http://www.oncfs.gouv.fr/Connaitre-les-especes-ru73/Le-Castor-dEurope-ar110