Pic noir – Dryocopus martius

Crédit photo : Jean-Louis Reymonet

En ornithologie, contrairement à d’autres groupes dans lesquels on trouvent plusieurs familles (les grands échassiers par exemple), nous, les Pics, avons un groupe spécifique dans lequel ne figure qu’une seule famille, celle des Picidae. Ce qui nous caractérise tient en quelques mots : notre taille fuselée est petite à moyenne. Grâce à notre queue qui nous sert d’appui et à nos fortes pattes, nous sommes d’excellents grimpeurs. Et nous sommes également tous pourvus d’un bec en forme de poignard que nous utilisons souvent comme marteau pour percer les troncs d’arbres.
Vous connaissez tous, sans avoir eu forcément la chance de les rencontrer, mes cousins Pic vert, Pic épeiche, Pic épeichette et Pic mar pour les plus connus. Sachez que le Torcol familier fait également partie de ma famille. De tous, moi le Pic noir, je vis en milieu boisé et je suis le plus grand et le plus efficace en termes de travaux de perçage de troncs. Comme je suis également timide et très conciliant : beaucoup de mes cousins, mais pas que…* m’exploitent en récupérant mes loges. Cela me rend donc méfiant en période de reproduction. Ma femelle et moi faisons en sorte que l’un de nous deux soit toujours à proximité de la loge afin de décourager « les squatteurs », car si un opportuniste parvient à investir l’endroit, comme le Pigeon colombin par exemple, plutôt que d’en découdre, « nous lâchons souvent l’affaire » pour aller investir une nouvelle loge.

 

* Outre d’autres espèces de Pics, beaucoup d’autres oiseaux investissent les loges du Pic noir au fil des ans : Faucon crécerelle, Etourneau sansonnet, Choucas des tours, différentes espèces de chouettes, Gobe-mouches, Pigeon colombin, Rollier d’Europe, Rouge-queue à front blanc, Sittelle torchepot (qui maçonne l’entrée pour la rétrécir), différentes espèces de mésanges, Martinet noir, Torcol familier, Hibou moyen duc et plus étonnement Garrot à œil d’or, Harle bièvre. Mais aussi quelques mammifères : la Martre des Pins, l’Ecureuil roux, la Fouine, et des insectes : Abeilles, Frelons.

 

Crédit photo : Roger Levalet

Mais tous les trous que je perce ne sont pas des loges… loin de là ! Afin que vous puissiez faire la différence entre une loge et ce qui n’en n’est pas une, sachez que je place celles-ci entre 7 et 18 mètres de hauteur, dans un tronc d’arbre en bonne santé*, avec une circonférence suffisamment grande** pour que les parois de la loge restent épaisses (faute de quoi, en cas de tempête, l’arbre fragilisé par la loge risque de casser), à l’écorce la plus lisse possible afin que les prédateurs ne puissent pas s’y agripper et sans branche, si possible. L’arbre doit également être suffisamment éloigné des arbres environnants et offrir un espace dégagé devant l’ouverture.  Celle-ci est ovale et ouvre sur une galerie horizontale d’environ 30 centimètres de profondeur. Une fois terminée, j’entreprends de creuser la loge vers le bas, jusqu’à 40 à 50 cm de profondeur. Le diamètre de la loge est d’environ 20 à 35 cm. Ce travail n’est pas aisé car je fore tête vers le bas, pattes accrochées à la paroi et plus je m’enfonce, moins j’y vois clair !
Cela constitue un travail de titan qui me prend jusqu’à 4 semaines de perçage intensif. Au fur et à mesure où je creuse la loge, j’évacue les copeaux de bois en les jetant le plus loin possible de mon arbre, afin de ne pas attirer l’attention et de laisser le moins de traces possible de mes travaux d’aménagement. Vous l’avez bien compris, cette loge servira à ma reproduction.

* De préférence un hêtre mais le Pic peut aussi creuser sa loge dans d’autres essences d’arbres, y compris des résineux.

** Au moins 50 cm de diamètre à la base du tronc.

En janvier, je commence à me faire remarquer grâce à des cris de contact doux et un tambourinage très sonore pour attirer une femelle. Puis lorsque la rencontre est faite, ma compagne et moi paradons de concert en décrivant des cercles avec la tête. Puis, je finis par l’emmener vers ma loge de reproduction.
Durant les trois mois que durent la reproduction et l’élevage des petits, ma femelle et moi ne sommes pas particulièrement sociables l’un envers l’autre mais notre objectif étant commun (mener à bien notre seule chance de reproduction*), nous sommes très solidaires dans cette entreprise et prêts à défendre notre progéniture quoi qu’il en coûte.**
Après une rapide cérémonie d’accouplement*** nous ne faisons que nous croiser au cours des cinq semaines suivantes, sans chercher à cohabiter. A tour de rôle, nous couvons****, installés comme nous pouvons au fond du puits de notre loge tapissée de copeaux de bois, qui s’avère inconfortable tellement elle est étroite pour notre taille*****. Dans un premier temps, nous nous sommes réjouis de découvrir que nos œufs éclosent au bout de 12 jours, ce qui représente un temps très court de couvaison, mais très vite, nous avons déchanté car nos petits naissent tous nus, aveugles, sourds et amorphes. Incapables de réguler leur température, nous devons encore assurer la couvaison pendant une bonne semaine avant de pouvoir les laisser seuls dans la loge.
A tour de rôle, ma femelle et moi partons au ravitaillement pour nourrir notre famille pendant que l’autre couve. Pour ce faire, nous devons beaucoup nous éloigner du nid et il serait épuisant de rapporter une seule proie à la fois. Mais la nature est prévoyante ! elle nous a pourvus d’une musette dissimulée au fond de la gorge dans laquelle nous pouvons stocker jusqu’à 1500 insectes simultanément, soit jusqu’à environ 33 grammes de nourriture en un voyage. La seule inconnue est le temps qu’il nous faut pour remplir notre réserve ! Ceci est très aléatoire. En moyenne, cela prend une quarantaine de minutes mais il peut se faire que cela dure aussi plusieurs heures pour collecter notre butin. A notre retour, nous prévenons rapidement notre partenaire qui, bien heureux de pouvoir aller se dégourdir les ailes, sort instantanément de la loge pour laisser la place.

* Si la première ponte échoue, les Pics ne tentent pas une deuxième ponte (information Gérard Pontini).

** Lors de la couvaison, en cas de danger, imminent il arrive que le Pic noir ne quitte pas la loge pour protéger les œufs ou les jeunes.

*** Rare occasion de voir 2 Pics noirs posés sur une branche et non pas accrochés verticalement à un tronc. Il peut arriver cependant que le Pic noir se pose sur une branche horizontale dans d’autres occasions, comme observer l’accès à la loge avant de s’y rendre (observation Gérard Pontini).

**** 4 à 6 œufs – La couvaison est toujours assurée par le mâle durant la nuit (Information – Gérard Pontini)

*****Longueur de 40 à 46 cm – envergure de 67 à 73 cm.

S’en suivent 3 minutes de nourrissage au cours desquelles nous enfonçons notre bec dans le gosier des petits*, dans le noir, tête vers le bas, pattes accrochées aux parois du puits, pour régurgiter les insectes que nous leur avons rapportés.
Une fois nourris, ils retombent en léthargie. Avant de couver à nouveau, reste une dernière formalité à accomplir pour garder le nid propre : au début de leur vie nous avalons leurs sacs de fientes, puis au fil du temps, nous allons les jeter en extérieur.

* Au cours de cette opération, les paupières se ferment afin de protéger les yeux du Pic des coups de becs qu’il pourrait recevoir (Information : Gérard Pontini)

Crédit photo : Hervé Broguy

A l’âge de 5 jours, les petits ont considérablement grossi et à 8 jours, il n’est plus besoin de les réchauffer pendant la journée. Leurs besoins en nourriture sont tels qu’ils sont nourris de 18 à 25 fois par jour et chaque petit reçoit désormais environ 2 300 insectes quotidiennement. Nous ne sommes pas trop de deux pour faire face à cette tâche immense.

A l’âge de 17 jours, les jeunes sont suffisamment costauds désormais pour escalader les parois de leur puits ce qui leur donne l’occasion de découvrir le monde extérieur en pointant le bec à l’entrée de la loge. Dès lors, depuis celle-ci on peut déterminer le sexe des oiseaux. Les mâles ont la tête couverte d’une calotte entièrement rouge qui s’étend du front au cou, tandis que les femelles ont une calotte triangulaire rouge sur le dessus de la tête mais qui ne couvre pas le front.

Lorsqu’ils atteignent l’âge de 28 jours, nous décidons qu’il est temps pour nos descendants de quitter le nid. Le seul moyen que nous avons trouvé pour les inciter à le faire est de les affamer. Nous les nourrissons de moins en moins et lorsque la fringale est trop forte, enfin, ils se jettent dans le vide et finissent par s’arrimer verticalement à un tronc d’arbre. Les petits sortent un à un sur plusieurs jours. Dès ce moment, le premier oiseau sorti du nid est immédiatement pris en charge par ma femelle. Pour ma part, je continue d’assurer le nourrissage à la loge. Lorsque le 2ème petit sort du nid, il rejoint également sa mère qui le prend en charge et moi, je continue de nourrir à la loge. (Observation Gérard Pontini).

Quand tous les jeunes ont quitté la loge, ma femelle et moi les emmenons dans un lieu sécurisé du bois où ils trouveront de la nourriture à profusion. Dès lors, il est temps pour nous leurs parents de se séparer et de partager la fratrie. Nous assurons encore la garde et l’éducation de notre demi-famille pendant quelques semaines, chacun de notre côté. Dès fin août je reprends ma vie solitaire. Ma femelle et moi avons ardemment défendu nos jeunes « becs et griffes » dehors lorsqu’ils étaient vulnérables mais désormais, je me désintéresse totalement de leur devenir. S’ils n’ont pas péri sous les serres de l’Autour ou dans la gueule de la Martre, alors, je les effarouche et je les poursuis pour qu’ils quittent mon territoire.

Crédit photo : Roger Levalet

2 interprétations possibles pour cette scène :
1) soit 2 Pics noirs s’affrontent dans une lutte de territoire . Les oiseaux tournent autour du tronc en faisant tourner leur tête. L’oiseau gagnant de cet affrontement est celui qui parvient à rester le plus bas possible sur le tronc.
2) Soit, il s’agit d’un mâle et d’une femelle qui paradent.

Quant à moi, je reprends ma vie d’oiseau invisible et très méfiant et si vous voulez détecter ma présence, vous allez devoir apprendre à lire les traces que je laisse derrière moi. Mon activité préférée est de creuser des trous dans les arbres*. C’est plus fort que moi, je ne peux m’en empêcher. Mais soyez indulgents car j’ai de bonnes raisons à cela !
En effet, en dehors des trous faits pour me loger, je « n’épouille » et ne perce que des arbres en mauvaise santé**, et même si vous ne le voyez pas de l’extérieur et que les chercheurs se cassent les dents sur ce mystère, mon système de détection est infaillible, vous pouvez me faire confiance. Alors pourquoi cette frénésie pour débarrasser certains arbres de leur écorce, pire pour les percer de toutes parts ? C’est là ma première raison :  il s’agit simplement de me nourrir en les nettoyant de tous les insectes malfaisants qui les habitent, qui les affaiblissent peu à peu et qui constituent mes repas : larves de coléoptères, fourmis***, scolytes****
Mes travaux de perçages deviennent alors très bruyants et très visibles qui forment des tas de copeaux***** aux pieds des arbres attaqués. Il arrive même qu’à la manière d’un bûcheron ou du Castor je taille le bas de l’arbre en « allumette », ce qui ne manque pas, au premier coup de vent, de le coucher !
Mais quoi qu’on en dise, il s’agit là d’un travail énorme qui m’oblige à tambouriner à très grande vitesse sur l’arbre avec mon bec 8 000 à 12 000 fois par jour.
Quand on y réfléchit, il paraît tout à fait impossible que cela se fasse sans dégât, mais c’est compter sans Dame Nature qui m’a doté de propriétés extraordinaires et qui surtout, a pris soin de bien protéger mon cerveau et mes yeux de tous les chocs que je dois endurer.
En effet, mon cerveau est entouré par la boîte crânienne de telle sorte qu’il y ait très peu d’espace entre les deux pour éviter les ballotements à l’intérieur du crâne. De plus, mon crâne et mon bec, sont séparés l’un de l’autre par un cartilage qui amortit juste ce qu’il faut les coups portés avec mon bec.
Ajoutons que j’ai une musculature très bien coordonnée qui permet de rigidifier le cou et la tête au moment opportun et de répartir l’onde de choc.

* Chênes, Hêtres, bouleaux, épicéas, pins, sapins.
** Pour les mêmes raisons, il est arrivé que des Pics noirs s’attaquent à des poteaux téléphoniques, à des poteaux de clôture mais aussi à des souches déjà à terre.
*** De préférence des fourmis de grandes tailles genre Camponotus qui installent leur fourmilière au centre des troncs d’arbres sans que l’on puisse détecter leur présence de l’extérieur.
**** Parasite des arbres.
*****Dont les plus gros morceaux d’écorce peuvent avoir jusqu’à 2 mètres de long, totalement découpés par le Pic à coups de bec.

 

Enfin, un peu de technique ne saurait nuire pour éviter les accidents : je prends soin, avant de taper fort, de donner deux petits coups de becs à l’endroit choisi pour amorcer le trou et repérer la trajectoire. Dès lors je conserve cette trajectoire repérée de la tête, de façon qu’elle soit toujours rectiligne en évitant toute torsion du cou qui pourrait me blesser.
A chaque coup porté mesuré à la vitesse de 20 Km/heure je freine brutalement (à la manière d’un frein hydraulique) avant l’impact ce qui en théorie devraient éjecter mes yeux de leur orbite. Afin d’éviter ce désagrément, je suis également doté de paupières super puissantes qui se ferment automatiquement lors du choc, maintenant ainsi mes yeux en place.
Quant à mon bec, savez-vous qu’il pousse tout au long de ma vie à raison d’un demi-millimètre par jour (soit environ 18 cm par an) ? C’est donc là ma deuxième raison de percer avec frénésie, afin de l’user régulièrement, car je n’ai aucune envie que l’on me déclasse pour me mêler à la famille des grands échassiers ! Au début de ma vie, j’avais un bec bien pointu mais en prenant de l’âge, la pointe s’est aplatie peu à peu, on imagine bien pourquoi !
Ceci-dit, en dehors de percer, mon bec ne m’est d’aucune utilité pour me nourrir. A ce stade, c’est ma langue qui devient mon arme de guerre ! En effet, celle-ci ne se contente pas d’être longue*, elle est également pourvue en son bout, de plusieurs épines gluantes. Quand le trou est percé, il me suffit de l’enfoncer tout au fond pour harponner mes proies et les tirer en arrière.

* Le muscle de la langue du Pic noir entoure son crâne et il est probable qu’elle participe aussi à la protection du cerveau en servant d’amortisseur au moment où l’oiseau frappe les troncs. Elle fait une boucle autour du crâne en partant du bec pour se terminer à la narine droite.

Langue d’une jeune femelle
Crédit photo : Roger Levalet

J’imagine que vous l’avez bien compris, pour que je reste un Pic noir en bonne santé grâce à la nourriture dont j’ai besoin, mon domaine doit être vaste pour que je dispose de suffisamment de ressources en bois mort (ou malade). Mon territoire de forêt s’étend entre 2 et 5 km² et parfois d’avantage. Je peux exploiter « jusqu’à 800 souches disséminées sur 32 hectares »* et je dispose d’une mémoire infaillible qui me permet d’avoir en tête le plan exact du lieu où se trouve mes souches. Je peux même les retrouver sous une couche de neige que je déblaye à l’aide de mon bec.  C’est une tâche supplémentaire qui ralentit ma capacité à me nourrir car il faut bien le dire, passé le milieu d’après-midi, je ne suis plus bon à rien ! Alors, il ne me reste plus qu’à aller me reposer, accroché verticalement à l’intérieur d’une de mes loges pour attendre le lendemain matin.

Texte :  Pascale Hervieu
Photos par ordre d’apparition sur mon disque dur : Hervé Broguy, Roger Levalet, Jean-Louis Reymonet, Gérard Pontini.

Références bibliographiques :
La Hulotte (Revue la plus lue dans les terriers)    N° 82 et 83
Le guide ornitho, Svensson, Mullarnet et Zetterström

Consultation et observations :
Gérard Pontini

Références sitographiques :
https://www.ethiquesetthoc.com/
https://www.oiseaux.net/oiseaux/pic.noir.html
https://www.youtube.com/watch?v=ArVjJksr7xU
https://www.youtube.com/watch?v=e2-hD_MblAI
https://search.lilo.org/?q=pic%20noir&tab=videos&page=1