Souvenirs d’Autriche

Texte et photographies : Bernard Mallet

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2005, Bernard (Trana sur le forum) et sa femme viennent de passer quelques semaines dans un petit village d’Autriche, au bout de la chaîne des Alpes, à une altitude de 1000 mètres.
En demi-pension dans une ferme, avec balcon fleuri d’où ils ont pu voir le rut du chevreuil dans la prairie en contrebas, à 150 mètres de distance …

Bernard nous raconte son séjour.

Cette année là, je me suis décidé à faire quelques photos de chevreuils.
Mais il m’a fallu tenir compte des horaires de groupe et d’autre part et surtout, de ce que la prairie où se poursuivaient les chevreuils n’était pas accessible “discrètement” (à l’insu des chevreuils et des hôtes de la pension).

La prairie où venaient les chevreuils se situe en bas à gauche de cette photo, prise un jour de brouillard.

Je n’ai donc eu comme possibilité que de faire un affût à côté de la maison (avec les enfants et chiens venant souvent me rendre visite !).

Il faut dire qu’en Autriche, qui regorgeait de cerfs et chevreuils, la population a bien diminué depuis une trentaine d’années. Du fait de l’arrivée des chasseurs allemands, qui paient grassement pour aller tirer leur animal, la population totale de cervidés a diminué de 90 % ! Même les parcs naturels régionaux subissent la pression de la chasse et l’on voit des miradors partout. Celui-ci est de confection ancienne, mais comme affût photo, il y a mieux !

Les chevreuils arrivaient du bois vers les 7 heures du matin et restaient dans la prairie jusque vers 9 heures. Très souvent, ils passaient ensuite la journée au frais, couchés dans le rideau d’arbres longeant le petit torrent. Le soir, ils commençaient leur manège vers les 20 heures, donc en pleine ombre due aux bois et à la montagne (il faut dire que là-bas, le soleil se lève et se couche 45 minutes plus tôt qu’à Paris).

Le 2 août a eu lieu un énorme orage de grêle, qui a haché menu toute la végétation. A partir de ce soir-là, je n’ai plus revu les chevreuils, qui avaient occupé en 2005 la même place de rut jusque vers le 15 août.
Mais j’ai eu la chance de voir d’autres animaux à quelque distance de là, notamment un brocard qui cherchait sa femelle vers les 6 heures du matin, donc l’équivalent de nos 5 h 15 (1600 ISO, d’où un certain grain)

A part cela, alors que je tentais un affût chevreuil en bordure de bois, un rouge-queue noir a accepté de se faire tirer le portrait (il y en avait toute une famille autour de la ferme).

Suivi d’une bergeronnette des ruisseaux…

… et d’un chat qui est sorti soudainement du bois à 4,5 mètres de moi, aussi surpris que je l’étais !

Comme quoi, lorsqu’on fait un affût, il faut s’attendre à tout ! Je ne sais si le campagnol capturé était encore vivant, mais ce qui est sûr, c’est que le chat le rapportait à ses chatons, dans la grange.

Dans toute cette région, on voit en effet marauder des quantités de chats dans les prairies et en forêt, tel ce haret.

Après l’étage montagnard, nous allons maintenant nous rendre dans la partie supérieure du Mélezin, la formation botanique de l’étage subalpin où se trouvent les mélèzes. Cet étage se trouve au-dessus de celui des feuillus et des résineux classiques (pins, épicéas), à une altitude qui varie entre 1500 et 2400 m selon les chaînes montagneuses et selon que l’on considère l’adret (versant exposé au sud) ou l’ubac (versant exposé au nord).
Informé de l’existence d’un coin à marmottes, j’y suis allé une première fois par temps couvert, et ai pu constater que les marmottes n’étaient pas trop farouches. Cet endroit paraissant intéressant, j’y suis retourné 3 autres matinées, découvrant à chaque fois quelque chose de nouveau.

Je vous invite donc à découvrir la faune d’un petit hectare de Mélezin, situé vers 1750 mètres d’altitude.

Nous commencerons donc par les marmottes, qui se prélassent, mangent des clochettes ou jouent comme partout ailleurs dans les Alpes.

Sur cet animal, il y a peu à dire, car vous le connaissez bien.
Vous avez pu constater la présence de bruyère sur l’une ou l’autre des photos. Il est assez amusant de voir des marmottes au milieu de la bruyère ! Cette photo donne un assez bon aperçu du biotope. Ce milieu est assez varié, parsemé de grosses roches calcaires. La végétation est constituée de quelques mélèzes, de rhododendrons, de pins mugo (pins couchés de faible taille), de saules bas, de sorbiers, de genévriers alpins, de myrtilles, de bruyères, d’aconits napelle etc. Il est donc très riche en ressources alimentaires pour la faune à poils et à plumes.

Et effectivement, il y avait de nombreuses espèces sur ce petit hectare, notamment de très nombreux rouge-queues, qui circulaient en tous sens, mais revenaient souvent sur ce sorbier.
Sont aussi passés à côté de moi des verdiers, pipits spioncelles, mésanges bleues, mésanges boréales, accenteurs mouchets, merles à plastron et cassenoix en vol, quelques fauvettes et un faucon crécerelle. J’ai également entendu, juste en dehors de cette zone, des pics noirs et une chouette (sans doute chevêche).
Un matin, arrivant vers l’endroit choisi, je suis tombé à l’improviste sur deux lagopèdes des Alpes, qui se sont aussitôt cachés. Tous deux étaient en plumage d’été, c’est-à-dire bien bigarré sur le dessus et blanc dessous. L’un est reparu à quelques mètres de moi et s’est envolé vers l’aval, montrant bien ses ailes blanches et sa queue bordée de noir. L’autre a piété pour finalement disparaître dans la végétation. La vision a été fugace et il m’aurait été bien impossible de dire s’il s’agissait de mâles ou de femelles. Cet endroit était vraisemblablement à la limite inférieure des zones prospectées par le lagopède.
Et tandis que je continuais de surveiller la zone, des cris gutturaux très sourds, à peine audibles, ont attiré mon attention : une femelle de grand tétras appelait ses petits pour les éloigner.
Elle s’est de nouveau montrée 35 minutes plus tard, à peu près au même endroit.
Il apparaît donc que ce milieu est très riche et propice à l’alimentation des lagopèdes (qui mangent un peu tous les végétaux) ainsi que des grands tétras.

Il y avait déjà de quoi être satisfait de cet endroit.
Mais le dernier jour, en fin de matinée, alors que je surveillais toute la zone du regard, une forme est passée rapidement en vol à 6-8 mètres de moi. J’ai immédiatement reconnu le vol papillonnant et les couleurs du tichodrome échelette. Par chance, il s’est posé non loin de moi, à environ 20 mètres (photos prises au 500 mm).
On remarquera l’homochromie de l’oiseau et de la roche.
L’individu semble être une femelle, comme en témoigne l’absence de noir à la poitrine. Les faibles arcature et longueur du bec pourraient toutefois militer en faveur d’un juvénile, quoique ses ongles soient de la taille de ceux d’un adulte.
Très actif, l’oiseau n’est pas resté longtemps (les seules 4 photos faites ont été prises en 8 secondes) et il s’est immédiatement envolé pour se poser 200 mètres plus loin sur d’autres gros blocs de rochers, en direction des grandes falaises.

Pendant tout ce temps, un chamois bien ventru s’était alimenté à la limite supérieure des pins mugo, faisant des poses à l’ombre et sous la protection de ces arbres de deux mètres de haut.

En repartant, j’ai pu sentir l’odeur d’un renard qui avait circulé dans ce secteur. Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin !
En effet, lors de ma deuxième visite, et alors que j’arrivais à peine sur les lieux, peu avant 9 heures, j’ai pu voir un lièvre remonter la pente en s’éloignant de mon (futur) lieu d’affût. Je me suis donc installé et ai attendu. Au bout d’une dizaine de minutes, le lièvre est redescendu, très inquisiteur, et il est venu dans ma direction, tout en faisant de nombreux arrêts. Visiblement, il se demandait ce qu’était cette forme immobile. Je n’étais pas sous un affût camouflé, mais étais simplement assis sur une butte de bruyère, portais des habits de couleur beige clair (couleur roche) et marron et avais recouvert mon matériel d’un filet camouflé.
Plusieurs déclics ont intrigué le lièvre, qui est reparti vers les hauteurs.
Puis, de nouveau, il est revenu et le même manège s’est encore répété deux autres fois, avant qu’il ne disparaisse définitivement. Ce n’était malheureusement pas un lièvre variable, la taille, la forme et la couleur de la queue m’en ont convaincu. Dommage, mais cette rencontre agréable a duré tout de même 40 minutes …

Rendons-nous maintenant dans l’étage alpin, non pas sur des hauteurs de près de 3000 mètres, mais sur les hauts plateaux s’étageant entre 2000 et 2500 mètres. C’est le pays où poussent la neige, les roches et la désolation, et où il ne fait pas bon être pris dans la tourmente.
Et pourtant, les Celtes le parcouraient, tout comme leurs successeurs jusqu’au Moyen-Âge, n’hésitant pas à y passer pour aller chercher le sel extrait de la montagne. Ils préféraient ce rude trajet à de très longs détours par les vallées.
Pour nous rendre dans ce décor inhospitalier, nous passerons d’abord un col élevé, entre des sommets de pierre et de neige.
Lorsque l’on vient très tôt le matin, des panoramas superbes s’offrent la vue, dans toutes les directions.
C’est le domaine des neiges éternelles, où l’on peut pratiquer l’alpinisme, l’escalade ou la randonnée.

Après la tempête, la nature se remémore longtemps les étreintes tumultueuses de la neige et d’Éole.

Sur la neige, il y a curieusement des quantités d’insectes : coccinelles, punaises, petits diptères. Ces insectes sont certainement arrivés portés par des courants d’air. Mais je ne suis pas venu pour cela. Je suis venu pour tenter de revoir un oiseau aperçu en 2000, dans les pierriers des hauts plateaux, situés en contrebas.
Une première marche vers les plateaux, sur la neige, me conduit dans un cloaque : la neige des pentes fond rapidement sous un soleil de plomb et cède sous le poids. Les pieds sont trempés par l’eau qui dévale sous la neige. Il faut remonter et prendre alors une “via ferrata”, exercice délicat avec gros trépied et sac à dos contenant le 500mm. C’est plus sec, mais fatigant. Après une marche dans de gros pierriers, le haut plateau s’étale alors devant moi à perte de vue.

Milieu désolé où ne poussent que quelques rares plantes naines, telles que les coussinets de céraistes uniflores, ou basses : pavots de Sendtner, achillées de Clavena.
Au bout d’une bonne heure de recherche et d’observation, l’oiseau demeure invisible. La roche calcaire est hyper-claire et fait autant mal aux yeux que la neige qui subsiste en petites plaques.
Il est 11 heures 30, je suis fatigué, n’ai pas mangé depuis longtemps et le soleil frappe durement. Aller plus loin, vers le bas, signifierait augmenter les difficultés de retour. A la fin du casse-croûte, je décide la mort dans l’âme de renoncer à voir mon oiseau et de prendre le chemin du retour.
Et c’est alors qu’un raclement guttural me fait sursauter, un peu comparable à un bruit de crécerelle (l’instrument, pas l’oiseau !). Il est là, le lagopède des Alpes, à quelques mètres du sentier que j’avais parcouru une heure plus tôt. Il y en a même 2. Je sors le 500 du sac et l’installe sur le trépied.
Commence alors une séance de cache-cache autour des gros rochers et des plaques de neige. Fort heureusement, les oiseaux ne sont pas trop farouches. Sur certaines photos, je ne sais si l’arrière plan est constitué de neige ou de roche.

D‘autres lagopèdes apparaissent, portant le nombre total à 8 ou 9. Je suis bien incapable d’identifier les oiseaux. Est-ce une famille avec ses jeunes, ou un groupe d’adultes uniquement ? Je penche pour la première hypothèse, mais les jeunes sont dans ce cas bien grands. En tout cas, il ne semble pas s’agir de mâles.
Ce qui complique la détermination, c’est la variabilité du plumage due aux mues secondaires ; l’ensemble des mues a valu à l’oiseau le nom scientifique de Lagopus mutus, par erreur de retranscription de mutans (changeant).

Encore quelques photos, mais la petite troupe s’est éloignée et a disparu. 20 minutes de bonheur !
Je retourne au sac, laissé à quelque distance, remballe tout le matériel et reprend le chemin du retour.
Quelques dizaines de mètres plus loin, je retombe sur deux lagopèdes. L’un des deux est à 10 mètres de moi et me regarde. Nous sommes tous deux immobiles, durant plusieurs minutes. Puis l’oiseau se met à picorer au centre d’une touffe de céraistes. Je ne peux rien faire, tout le matériel étant dans le sac en vue de la grimpette. Le sortir serait sans espoir. Le charme est bientôt rompu et les deux oiseaux s’envolent en grognant de l’autre côté de la petite vallée.
Plus rien ne bouge, tout est donc fini pour aujourd’hui.
Le retour est très pénible, sur de la neige tantôt fondante, tantôt glacée et dérapante.
Mais je suis aux anges !

Une dizaine de jours plus tard, je décide de retourner sur les lieux pour revoir les oiseaux. Je les retrouve effectivement, mais ils sont sur une pente assez raide qui est signalée comme dangereuse pour ses avalanches. Comme il y a ce jour-là de nombreux promeneurs, je décide de ne pas m’approcher des oiseaux, pour éviter l’affolement des humains. Je me contente durant une heure d’observer au 500 les lagopèdes, qui se nourrissent en se déplaçant lentement. Ils sont en sécurité, l’œil non averti ne peut les voir tant leur mimétisme est parfait dans la pierraille.

Regardant par hasard le sommet de la crête, je vois soudain un rapace. J’hésite, car il est presque à la verticale, planant à une altitude d’environ 3000 mètres. Son corps est très clair : tête et queue de couleur crème, corps et sous-alaires marron, poignets et extrémités des ailes noirs. Une photo, floue malheureusement, me conduit à penser, cerise sur le gâteau , qu’il s’agissait d’une buse féroce. Cette espèce vit en Afrique du Nord, en Grèce, en Turquie et autour de la Caspienne. Elle fréquente, pour y chasser, les espaces découverts et notamment les zones rocailleuses de montagne.

Et pour finir ce voyage en Autriche, voici quelques clichés d’instants inoubliables !