Rencontre avec une talève sultane

Texte et photographies : Pascale Hervieu

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18 décembre 2010. Le temps est radieux sur la Camargue. Je profite de cet après-midi libre pour me rendre au Centre du Scamandre situé en Camargue gardoise (aussi appelée Petite Camargue). Le centre se situe en bordure de l’étang du Scamandre, d’où son nom, et au cœur de la plus grande roselière d’Europe encore exploitée. Le milieu, fait d’eau et de sagne par endroits, de prés salés à d’autres, est fréquenté par un grand nombre d’espèces d’oiseaux, variables selon les saisons.

En ce mercredi après-midi, surprise ! Malgré le magnifique soleil qui donne l’impression de douceur, tous les étangs sont gelés.  Cela fait déjà trois jours qu’ils le sont me dit Simon, l’animateur du centre. Le ciel bleu et le soleil du midi sont trompeurs, je ne m’étais aperçue de rien !

A cette époque, il y a très peu de monde sur les chemins du centre. Tout est calme et silencieux. Les rencontres du jour seront aléatoires, comme à l’accoutumée, car ici, les oiseaux sont totalement libres. Pas de volières, pas de nourrissage, juste un milieu protégé. Bien souvent, les oiseaux ont leur dortoir au cœur du centre, dans des endroits inaccessibles, ce qui occasionne des passages fréquents et réguliers tôt le matin et en fin d’après-midi. Dans la journée, on peut cependant y voir différents types de hérons pêcher, les ibis falcinelles passer,  le busard des roseaux chasser, le martin pêcheur raser à grande allure les étendues d’eau. En hiver, les sarcelles d’hiver se regroupent sur un étang et sont observables à la jumelle depuis un observatoire. Au printemps, quelques juvéniles de flamants roses y font escale. Tout cela est variable, c’est ce qui fait le charme de cet endroit où chaque visite est assortie de son lot de surprises.

La talève sultane est présente dans le centre. Cependant, c’est un oiseau farouche difficile à observer car elle reste dans les zones éloignées et n’est visible qu’à la jumelle. Quelle ne fut donc pas ma surprise ce jour-là, de la découvrir face à moi, au bout d’un chemin, de l’autre côté d’un petit canal. Les exif de mes photos m’indiqueront, après-coup, une distance de 18 mètres entre elle et moi ! Les rigueurs de l’hiver lui auront fait perdre toute prudence pour la recherche de nourriture ! Dès que je l’aperçois, j’avance doucement jusqu’au bout du chemin et je m’installe sur le trépied qui ne me quitte jamais. Je suis face à elle ! Elle est tellement occupée à déraciner les moindres pousses vertes de phragmites qu’elle ne me voit pas, à moins que ma présence ne l’inquiète pas ?! Je mesure mes mouvements, je ne fais aucun bruit et je me laisse porter par ce moment magique. Je redoute le premier déclenchement : l’oiseau va-t-il s’en effrayer ? Non ! Aucune réaction de sa part. Me voilà rassurée. Je peux prendre tout le temps de faire les réglages de l’appareil et d’essayer de cadrer l’oiseau en évitant au maximum les tiges de phragmites entre lui et moi. La rencontre s’installe dans la durée : 45 minutes durant lesquelles j’ai eu tout le loisir de l’observer et de faire les photos de ce reportage.

La talève sultane, Porphyrio porphyrio est un bel oiseau au plumage bleu foncé avec des reflets plus clairs, au bec rouge et aux pattes rouges terminées par de longs doigts.

Ordre : Gruiformes
Famille : Rallidés
Taille : 45 à 50 cm
Envergure : 90 à 100 cm

La talève vit dans des roselières au bord de lagunes d’eau douce à saumâtre. Très présente en Espagne, on ne la trouve en France, depuis une dizaine d’années, que sur les côtes méditerranéennes, jusqu’en Camargue.  Sédentaire, on peut la voir en toutes saisons. Elle niche dans les roselières où elle construit un nid flottant. Elle pond de 2 à 7 œufs couvés indifféremment par le mâle et la femelle durant 22 à 25 jours. Les petits sont nidifuges et quittent le nid au bout de 4 à 5 jours.
Essentiellement végétarienne, la talève se nourrit de tiges, de racines, de graines et de fleurs. Elle aime la sève végétale. Il peut cependant lui arriver de consommer des œufs, poussins, grenouilles, poissons généralement trouvés morts.

Talève se nourrissant d’une tige de phragmite. Elle se sert de sa patte comme d’une main en coinçant la tige entre ses doigts.

Imperceptiblement, la talève se déplace le long du canal à la recherche de tiges fraiches. Peu à peu, elle arrive dans un lieu où les phragmites sont très hautes et la masquent aux éventuels promeneurs qui passeraient sur le chemin situé de l’autre côté.
Et justement, un groupe de promeneurs arrive. La talève l’entend et s’effraye. Elle s’envole et va se poser sur une langue de terre au milieu du canal. Le danger écarté, elle entreprend de revenir à la nage mais l’eau gelée empêche sa progression et le soleil de l’après-midi a rendu la glace fragile au point de ne pas supporter son poids. La talève lutte contre la glace pendant dix longues minutes avant d’arriver dans une zone où la glace, protégée du soleil par les phragmites, supportera enfin son poids.
L’histoire se termine bien et j’ai fait des vœux pour que ce bel oiseau rendu imprudent par les rigueurs du climat, ait regagné un lieu plus abrité pour la nuit afin d’échapper au renard pour qui elle constituait une proie de choix à cet endroit.